Julie Snyder forcée d’abandonner les activités de production télévisuelle des Productions J.
L’animatrice et productrice, fondatrice de Productions J, Julie Snyder, se voit contrainte d’abandonner les activités de production télévisuelle de son entreprise. Qualifiant la situation de « déchirante », Julie Snyder explique que ce geste est rendu nécessaire en raison des refus répétés du gouvernement québécois d’octroyer à Productions J la même aide financière qui est octroyée aux autres producteurs indépendants québécois et qui est essentielle à la réalisation de productions haut-de-gamme telles que Star Académie, La Voix ou L’Été Indien.
Bien que les émissions produites par Productions J soient conformes en tous points aux critères du régime d’aide à la production cinématographique indépendante, le ministère des Finances du Québec s’oppose à ce que l’entreprise bénéficie du régime en raison de l’état conjugal de Julie Snyder. Le ministère considère en effet que sa situation conjugale place les Productions J en situation « de dépendance » et disqualifie ainsi l’entreprise de recevoir l’aide accordée aux autres producteurs. Pourtant, le gouvernement fédéral accorde sans réserve à Productions J l’aide financière à laquelle l’entreprise a droit comme producteur indépendant.
« Malgré tous les succès de Productions J, les règles actuelles me placent aujourd’hui devant un choix impossible : mettre fin à ma relation de couple ou me déposséder d’une part importante des activités de mon entreprise, déplore Julie Snyder. Le succès du Poing J, des émissions spéciales sur Céline Dion, des nombreux magazines télé, des productions diffusées à Télé-Québec, sur Oprah Winfrey Network (OWN), sur TV5 Monde ou sur France Télévisions, des DVD produits pour Sony Music, de la fiction Réal-TV et des capsules Réal-IT produites pour la chaîne VRAK d’Astral, de Star Académie, de La Voix et bien d’autres encore, rien de tout cela n’est dû à ma relation de couple mais plutôt à l’excellence de l’équipe que j’ai réunie autour de moi à Productions J », ajoute-t-elle.
Membre en règle et reconnue sans réserve depuis 1998 jusqu’à ce jour par l’Association québécoise de la production médiatique, qui regroupe les entreprises québécoises de production indépendantes, Productions J réalise des productions au Québec (Astral, Télé-Québec, TVA) comme à l’international (France Télévisions, TV5 Monde, Sony, OWN). Conditions inéquitables Contrairement à ce qui a été rapporté par un quotidien montréalais en avril dernier, le fait de recevoir l’aide gouvernementale à la production indépendante ne « favorise » nullement Productions J, qui y avait droit depuis 1997 au même titre que tous les producteurs indépendants du Québec. Ce sont plutôt les règles d’éligibilité discriminatoires qui défavorisent injustement l’entreprise en cette matière. Ces règles imposent de plus à Productions J une condition à laquelle n’est soumis aucun autre producteur, soit l’obligation que plus de 50% de ses productions soient diffusées ailleurs que chez un même diffuseur. Si cette règle s’appliquait à tous, beaucoup de producteurs se verraient refuser l’aide financière car plusieurs ont largement plus de 50 % de leurs productions chez un seul diffuseur. Par ailleurs, la relation d’affaires de Productions J avec TVA ne date pas d’hier. Entre 1997 et l’an 2000, TVA était même l’unique diffuseur des productions de Productions J, qui bénéficiait alors sans difficulté de l’aide à la production indépendante. À cette époque, le réseau TVA n’avait pas été acquis par Québecor et Julie Snyder n’avait pas encore rencontré son conjoint actuel. Productions J a depuis largement diversifié les diffuseurs avec lesquels elle est en relations d’affaires ; malgré cela, l’entreprise est désormais considérée comme entretenant un « lien de dépendance » avec le réseau TVA. Situation discriminatoire Me Sylvie Schirm, avocate en droit de la famille, spécialiste des questions relatives aux unions libres et fréquemment sollicitée par les émissions d’affaires publiques Puisqu’il faut se lever de Paul Arcand et 24|60 d’Anne-Marie Dussault, estime que la situation de Julie Snyder est un cas flagrant de discrimination. « Encore aujourd’hui, l’État cautionne des situations discriminatoires où l’autonomie des conjoints est remise en question. En bref, Julie n’est pas considérée comme une femme d’affaires, mais comme la femme du boss, indique-t-elle. La situation est d’autant plus absurde que, même si Julie était séparée de son conjoint, elle serait privée de ses droits pour les deux années suivant sa séparation ».
La fiscaliste Brigitte Alepin souligne quant à elle que « l’impôt aura bientôt 100 ans et les régimes d’imposition en 2015 reposent trop souvent sur de vieilles perceptions de la famille, des affaires et de la famille en affaires. Avec ces règles d’éligibilité, on présume fiscalement un lien de dépendance en affaires même lorsqu’il n’y a pas de participation croisée d’actions entre les sociétés, ce qui n’est pas adapté à la réalité des affaires au 21e siècle et notamment à la réalité des conjoints qui sont en affaires ».
Une aide financière pour créer des emplois
L’aide financière à la production indépendante est la pierre d’assise des productions télévisuelles québécoises selon Pierre Lampron, qui fut le premier président de la SODEC et qui était directeur de la planification au ministère des Communications du Québec au moment de la création de ce régime. « Cette aide financière repose essentiellement sur le coût de la main-d’œuvre nécessaire à la production. En d’autres termes, elle sert à créer des emplois qui n’existeraient pas autrement, générant ainsi des entrées fiscales pour le gouvernement, explique-t-il. Il est essentiel de comprendre que cette aide ne favorise aucunement Productions J, mais qu’elle favorise surtout la production d’émissions québécoises de très grande qualité ».
De multiples appuis
D’autres personnalités ont également témoigné de leur appui à Julie Snyder, dont le producteur Jean Lamoureux, réalisateur du Poing J et cofondateur des Productions J en 1997. « Déçue que les producteurs n’aient pas la vision de mettre l’argent à l’écran, Julie a investi son cachet d’animatrice et pris un risque que les animateurs ne prenaient pas à l’époque : celui de devenir entrepreneure. Elle a fait école comme animatrice et comme productrice. C’est elle qui a cru, entre autres, au talent d’Éric Salvail en lui donnant sa première chance comme animateur de foule puis comme animateur. Comme moi, elle a sacrifié ses jours et ses nuits à bâtir cette entreprise qui a permis à de nombreux artistes de rayonner. Inspirante Julie, je suis profondément triste de ce qui t’arrive aujourd’hui et j’espère que cette injustice n’éteindra pas les étoiles dans tes yeux. »
Le producteur Roger Frappier a aussi plaidé en faveur du maintien du soutien gouvernemental à Productions J. « Julie Snyder est selon moi la plus grande productrice d’émissions de télévision de variétés au Québec. Par son intelligence certaine et sa fougue unique, elle a réussi à conquérir le cœur de presque la moitié de tous les Québécois et Québécoises qui regardent la télé. D’être ainsi amputé de crédits d’impôts à la production par un subterfuge relève de l’injustice. La réussite de Julie Snyder tient à une qualité toute simple dont nous avons bien besoin au Québec : celle de l’excellence au travail. Il faudrait encourager ceux et celles qui réussissent au-delà des autres au lieu de les empêcher de continuer et de s’améliorer », affirme-t-il.
Dans le magazine Châtelaine de novembre 2009, qui rendait hommage aux 100 femmes qui ont marqué le Québec, Stéphane Laporte dressait un portrait montrant la détermination qui caractérise Julie Snyder. « Julie Snyder n’appartient pas au jet set. Elle pilote le jet. Destination : le plus haut possible. Julie Snyder a l’instinct surdéveloppé des gens qui se sentent constamment en danger. Star Académie, Le Banquier, les DVD de Céline Dion : que des succès gigantesques. C’est une surdouée de la télé. Elle a la pleine maîtrise de tout ce qu’elle fait. Et chacune de ses productions est animée par son souci de faire du bien à tout le monde », écrivait-il.
Pour sa part, la documentariste, auteure et blogueuse Léa Clermont-Dion a livré un vibrant témoignage en faveur d’une plus grande équité. « Comment se fait-il qu’on accepte, encore aujourd’hui, que le statut conjugal prime sur l’autonomie des personnes ? Comment se fait-il qu’on en soit rendu à ce que le statut de conjointe oblige Julie Snyder à se déposséder de l’entreprise qu’elle a construite et menée avec succès ? Ce sont des règles archaïques qui contredisent les attentes les plus élémentaires de notre génération, comme le respect de l’autonomie des personnes », indique-t-elle. Julie Snyder a finalement rappelé qu’elle ne quitte pas Productions J, mais qu’elle se trouve dépossédée d’une part importante de ses activités. « J’ai une relation de longue date avec TVA, qui a débuté bien avant l’acquisition du réseau par Québecor et surtout bien avant que je fasse la rencontre de mon conjoint. C’est une relation d’affaires, comme je suis d’ailleurs en relation d’affaires avec d’autres diffuseurs en tant que productrice indépendante, précise-t-elle. Je constate aujourd’hui que l’aide à la production indépendante, essentielle pour produire des œuvres de qualité, est octroyée au Québec en fonction de ce qui se passe dans ma chambre à coucher », conclut-elle.
Source: Productions J