Vivement la salle de presse et ses quelques gagnants pour soutirer quelques commentaires aux artistes lors de ce 18e gala Les Olivier qui avait lieu dimanche dernier. Le doute et l’incertitude planaient sur le tapis rouge alors que tous les médias pouvaient s’attendre à tout avant la cérémonie. Déjà que quelques humoristes avaient annoncé leur absence, qu’allait-il arriver avec ceux qui avaient accepté de se présenter ? La réponse fût vite comprise, et ce dans le plus grand des silences. Mouvement de solidarité de masse pour les humoristes qui militaient à leur façon contre la censure et pour la liberté d’expression, défilant ainsi sur le tapis rouge avec un masque orné d’un X rouge et n’accordant aucune entrevue. Un peu décevant pour les médias certes, mais à quel point puissant comme message. D’ailleurs, le déploiement de tous les porteurs de masque envahissant la scène pour récupérer l’Olivier de Mike Ward (Mike Ward sous écoute) fut un moment télévisuel grandiose, à en donner des frissons.
Ce conflit de justice qui a dérivé vers une controverse de censure aura servi autant au public qu’aux humoristes de faire le point sur cette liberté d’expression et d’évaluer ce qui se disait ou pas. Alors que certains artistes dénonçaient la censure et tout ce qu’elle comporte, d’autres, comme Martin Matte entre autres, clamaient haut et fort cette chance de jouir d’une si grande liberté d’expression à travers son métier.
Il est évident que les points de vue qui varient, les valeurs, les convictions et les tempéraments différents des gens brouillent leur compréhension, leur appréciation de certains gags. Inévitablement, tous les types d’humour ne peuvent pas plaire à tout le monde, mais jusqu’où peut-on aller ? Qu’est-ce qui est censurable et qu’est-ce qu’on ne devrait jamais s’empêcher de dire ? Est-ce que les humoristes trouvent tout drôle ? Je ne crois pas (dis-je avec l’intonation de Louis-José Houde)
Marie Soleil Dion, pour sa part ne se trouve pas très provocatrice, elle soutient ceux qui parlent et militent et sera toujours POUR la liberté d’expression, mais ne se sent pas censurée ; ses propos n’étant pas si audacieux que ça. Toutefois, elle insiste qu’elle ne s’empêche de rien. Même si elle est une vedette de télé jeunesse, à l’impro elle ne délaisse pas les « jokes » de fesses, vulgaires ou de sacrer, parce que la fille d’impro a autant le droit d’exister. « On ne me l’a jamais reproché, et je pense que même les jeunes comprennent que je suis une actrice ; que j’ai autant le droit d’être une adulte, que d’un personnage jeunesse. Je ne me suis jamais empêché d’être moi-même. Ça paie à la longue. » Toutefois, elle ne pense pas que la vulgarité pour la vulgarité, pour provoquer, ce soit drôle.
Y’a t’-il quelque chose que tu ne t’empêcheras jamais de dire ? « Je vais dire pas mal ce que je veux dire, et si je ne suis pas d’accord, je « tire la plug » » lance Réal Béland. C’est d’ailleurs pourquoi il aime le geste de Mike Ward et de Guy Nantel, qui après 7 versions du numéro ont décidé de laisser tomber. « Tu n’engages pas Mike Ward si tu veux un numéro « soft », tu engages quelqu’un d’autre. Le numéro était très bien écrit et intelligent, moi c’est ça qui m’a fâché. » (Faisant référence au numéro qui avait été retiré du gala à quelques jours de celui-ci, créant cette vague de controverse) À l’inverse, y’a t’-il quelque chose qu’il est tanné d’entendre ? « Je suis tanné que moindrement qu’on dépasse un peu la ligne, sans nécessairement dire des choses qui ne se disent pas, tout le monde se met à chialer pour rien sans même avoir entendu la base du gag. Ça devient un énorme jeu du téléphone arabe. Quelqu’un fait un gag, il est raconté à quelqu’un d’autre et ça devient de plus en plus « heavy. »
Jean-Thomas Jobin , Olivier en main pour Auteur de l’année avec son spectacle Apprendre à s’aimer baigne allègrement dans l’absurde. Il croit qu’avec les André Sauvé et François Bellefeuille de ce monde, humoristes un peu plus dans la marge, il y a eu un gros « débroussaillage collectif » qui s’est fait. Les gens sont un peu plus outillés à piger les niveaux dans les différentes sphères de l’humour. « C’est ce qui est important, plus il y a de styles d’humour différents, plus c’est une richesse pour le Québec. » Avec son style d’humour bon enfant, ça lui permet d’aller assez loin, sans se censurer. À l’inverse, il ne censurerait aucun sujet en humour, mais il aime les traitements différents, les angles et perspectives qu’il n’a jamais entendu. Comme scripteur, il essaie lui-même de toujours trouver un angle différent à ses gags pour que ce soit plaisant à recevoir. Il espère d’ailleurs que ce mouvement de solidarité pour la liberté d’expression amènera les gens à se questionner sur leur « frilosité » quant aux gags qu’ils rejettent, qu’ils censurent.
Stéphane Rousseau n’hésite pas : « Oui je me censure ! Moi je me censure, mais de moins en moins … (Ce n’est pas aux Recettes pompettes qu’il a été censuré en-t-k…quoiqu’il assure qu’on n’a pas tout vu ! Imaginez-vous ?) Mais des choses que je dis à Martin Matte en coulisse ou à Mike Ward dans un party, je ne dirai jamais ça sur scène. Nous on est capable de voir le 62e degré du gag, mais ce n’est pas tout le monde qui peut comprendre. On ne fait pas le même gag à sa grand-mère, son enfant ou son voisin de palier. Tout le monde n’a pas les mêmes oreilles, certaines personnes ont les oreilles très chastes, le problème c’est qu’il y en a une maudite gang avec les oreilles chastes. » Dans la même lignée que Jean-Thomas, Stéphane croit que certains sujets en humour sont surutilisés, comme le couple par exemple, mais qu’on ne peut rien inventer, tout a été fait, il faut réinventer. Chaque personne arrive avec sa façon de livrer. Quand c’est bien fait et de façon originale, y’a toujours moyen d’en parler, de ne pas censurer. « T’sais Like moi parle du couple, et c’est bien fait, avec une autre « twist ». »
Mariana Mazza est claire. Elle n’aime pas la censure et veut se battre pour ça. « Je suis contente d’avoir mis le masque, contente de pas avoir répondu à des questions de médias, contente de m’être autocensurée parce qu’on a censuré mes collègues. Ça, c’est « Nice » ! Devant les frustrations de certains médias devant le silence des humoristes sur le tapis rouge, Mariana s’enflamme. (Pour une bonne raison) « Vous êtes bons pour prendre une partie de ce qu’on dit, le déformer et mettre un gros titre. « (Un peu comme le téléphone arabe de Réal Béland donc.) « Nous, on a censuré les médias parce qu’on a fait un pied de nez pour la liberté d’expression et qu’honnêtement, on s’en fout de répondre à la question « qui a fait ta robe !» On n’a pas censuré le gala par respect pour François Morency et pour tout le monde qui a travaillé sur le gala, mais censurer les médias, c’était la meilleure façon de montrer que nous la censure, ça nous fait chier…en le faisant vivre à d’autres personnes. » Le mouvement s’est organisé en deux jours par téléphone et par internet et Mariana avoue que c’était beau, qu’elle en avait des frissons de voir que tous ensemble, en famille, on est capable de réussir, de dire ce qu’on pense. « On est des passionnés d’humour, des passionnés de communication et si on ne plus communiquer parce qu’on en offense quelque uns, ça nous fait chier. On l’a montré et je crois qu’on en sort tous gagnants. » Un mouvement de front pour la liberté d’expression qui vient assurément donner encore plus de poids au one woman show Femme ta gueule de Mariana Mazza.
Outre le record de cotes d’écoute qui a été battu dimanche, nous avons bien hâte de voir l’impact qu’aura eu ce 18e gala des Olivier sur la liberté d’expression. En attendant, on souligne cette belle solidarité qui a permis à Mike Ward de mettre la main sur l’Olivier de l’humoriste de l’année